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Photographie

Piédanlo, octobre 2017
Wild light, octobre 2017
Laura, décembre 2017
Doux plié, octobre 2017
Altitude, septembre 2017

ABÉCÉDAIRE

Non non, j'suis pas nostalgique pantoute.

(Mon petit Abécédaire)

13 février 2018

 

Je suis finissante du programme d'Arts du cégep de Granby et comme les autres types de fourmis qui trainent des feuilles beaucoup trop lourdes pour elles dans les corridors beiges, mais oh combien vivants des établissements collégiaux de mon petit Québec, je dois montrer l'utilité des deux dernières années (qui semblent être des décennies) de ma vie dans un projet final, grand, gros, large et beau. Comme témoin à la barre de ma cause, je crée cet abécédaire: 26 capsules composées un peu comme le Petit Poucet a laissé tomber ses morceaux de pain, un peu dans l'innocence, mais surtout dans l'espoir. Il y a deux ans, je ne savais pas que l'art était une maladie incurable qui anime le coeur d'un brasier hydrofuge. On me demande maintenant de créer et lentement, je me forge des mains qui savent danser avec les flammes.

Acharnement

 

Je suis un poisson pris dans un filet de pêche. Mon idée, c'est l'eau. Je nage vers le bas avec de plus en plus de vigueur. Vous penserez peut-être que le poisson n'a aucune chance de percer les mailles de sa prison. Vous avez tort. Le poisson est artiste et ces âmes ont une force rhinocérosienne lorsque l'art est l'objet de leur convoitise. Le petit rhinocéros dans le filet fonce avec la corne de son coeur et la rage de créer. Le filet va se rompre. Ce projet se situe en bas, dans le sable, et je peux apercevoir les facettes colorées de son récif.

Intimidant

 

À la fin du secondaire, je n'osais pas créer. Penser à créer me suffisait. À vrai dire, j'avais un peu peur de la création. Cette crainte était comme la surface de l'eau qui miroite les rayons du soleil. On ne peut voir ce qui se trouve dans l'océan puisque tout ce qui s'offre à nous sont d'éclatantes réflexions de lumière. Je ne pouvais m'imaginer en train de créer parce que le soleil était trop grand, les auteurs étaient trop grands. Je pensais que toute personne qui crée se mesurait à tous les créateurs de chef-d'oeuvres. Le cégep m'a appris qu'on ne se mesure pas réellement puisqu'une ère et un paquet de moeurs se trouvent toujours entre deux oeuvres. À présent,  je dois élaborer mon projet d'intégration et je n'ai plus peur d'être dans la cours des petits grands. Ces craintes ont été remplacées par un engouement pour la création et un désir d'accomplir ce projet au meilleur de mes compétences. À ce stade-ci de notre vie, je crois que c'est une des dernières fois où autant de yeux seront rivés à nos projets parce qu'au cégep, les professeurs nous tiennent dans leurs mains et savent nous nommer, nos parents sont encore près et ils viendront nous voir, mais dans un temps futur qui ne cesse de s’approcher, nous allons nous disperser et nous tomberons pour une première fois dans l'anonymat. Pour moi, ce projet est un petit goodbye à cette vie collégiale facile et un peu à mon enfance.

Quête

 

Un sentiment de toute petite angoisse habite mes nerfs. Il se tisse un nid douillet, car l'homme est bien dans l'ignorance. Par contre, le temps file et se défile et je ne veux pas avoir à affronter le pied du mur, cet endroit poussiéreux et humide. L'art ne se tient pas dans l'humidité, il se tient dans l'étoile, la boule indéfinie de flamme voisine de la passion. Même lorsqu'il est animé par la tristesse et le deuil, l'art reste chaud. Sa chaleur et parfois imperceptible, reste qu'elle existe et qu'il suffit de la contempler longuement pour la sentir. Je dois trouver une idée, un concept. Ces mots sonnent faux à mes petites oreilles peu expérimentée. Malgré ma méconnaissance des milliers de facettes de l'art, je sais déceler que « concept et idée » sont des mots beaucoup trop précis en art. Alors je ne trouverai pas d'idée, ni de concept, je trouverai une brèche qui laisse passer un peu de lumière.

Écoeurée

Je suis tannée de ne rien produire. Un grand feu de forêt brûle en moi et gagne chaque feuille que je tente de couvrir. Je ne suis pas en manque d'inspiration, je suis frustrée après mon projet qui ne tient plus debout. Il est un ramassis de phrases pas claires qui ne dansent même pas bien ensemble. On dirait au bar un vendredi soir avec ben trop de mineurs en crop-tops. Je cherche la résistance ben raide et je pense que c'est moi qui suis en train de résister à je ne sais pas quoi. Tout ce que j'entreprends est frustrant. On dirait qu'il n'y a pas vraiment de lien cohérent entre les différents poèmes que je veux créer, mais c'est normal parce que justement, c'est une oeuvre divisée. Mais là, on me demande de dire sur quoi mes poèmes vont porter. Juste en expliquer un : « ça porte sur la manipulation parce que c'est un homme qui tente de manipuler une femme qui danse alors il ne peut pas, mais ce poème fait aussi référence à la Cabaret Law new-yorkaise qui opprimait les artistes noirs ou marginaux parce que la fille danse malgré les règles, pis la fille c'est une peu New York au grand complet and so on and so on.» Crime, je viens juste d'expliquer UN poème. One, uno, that's it. Pis j'ai écouté trop de Leonard Cohen, c'est rendu que les mots artistiques me viennent en anglais dans ma tête. Pis la couverture de sa biographie me fixe et me crie de créer plus vite parce que tout est dû pour vraiment très bientôt: « Go! Qu'est-ce t'attends?» Tais-toi. 

Leonard Cohen

 

Je n'arrive plus à me souvenir de la première fois où la voix de Cohen a semé ses échos sombres et amoureux dans mon petit esprit. C'était peut-être les vinyles de mon père ou les anecdotes de ma mère auxquelles je m'abreuvais contemplativement. Lorsqu'il était dans la vingtaine, il luttait contre ses désirs poétiques et a même travaillé un an dans la compagnie terne de son père. Ce que je crois savoir, c'est que l'art rattrape toujours ceux qu'il habite. Il a vécu sur une île relevant de l'imagerie mythique des îles grecques: Hydra, où il s'est épris de sa célèbre Marianne. Quand elle était près de la mort, son Leonard lui a envoyé une lettre qui chantait: «Et tu sais que je t'ai toujours aimée pour ta beauté et ta sagesse, mais je n'ai pas besoin d'en dire plus à ce sujet, car tu le sais déjà. Mais maintenant, je désire seulement te souhaiter un très bon voyage. Au  revoir vieille amie. Amour infini, je te verrai au bout de la route. » Ma première rencontre avec sa voix m'a peut-être échappée, cependant je me souviens du moment où ces mots me sont parvenus. Dans un cours de littérature, quelqu'un a dit que Marianne était morte et une fille de mon âge aux mots français cassés parfaitement avec son accent anglophone a prononcé un extrait de cette lettre. Je me suis accrochée à mon stylo bleu pour qu'on ne voie pas l'émoi que cet au revoir avait causé sur la paroi fragile sous mes yeux. La musique de cet homme fait partie de ces moments acharnés que je passe auprès de mes devoirs, mais aussi de tous ces moments tristes ou heureux, quotidiens. On m'a aussi donné la chance, avec un peu d'argent emprunté aux contribuables par une de mes professeures, d'assister à une représentation du spectacle hommage à Cohen Dance Me des Ballets jazz de Montréal. À mon anniversaire, j'ai trimballé des amis jusqu'au Musée d'art contemporain pour aller voir l'exposition lui étant dédiée. Toutes ces poussières de circonstances ont mené à un certain amour et un sentiment de proximité avec les vers de cet artiste chez moi et lorsqu'on m'a demandé de choisir quelqu'un de la cour des grands pour mon projet d'intégration, comme Leonard Cohen, j'ai lutté contre la tendance naturelle de mes premiers amours, mais je n'ai pu résister, comme il n'a pu résister à l'appel de la poésie.

je suis une Baleine à New York

 

Au matin, je pars pour le Musée d'histoire naturelle. L'endroit est impressionnant avec ses immenses colonnes et ses gardes de sécurité. À la caisse je suis surprise quand ils me demandent: « how much do you want to give? »

C'est un musée où notre contribution est volontaire afin que tous puissent y avoir accès. La grandeur du lieu m'ébahit et me consume. Les grands murs en bois, les boiseries, les marches en marbre (je doute que ça en soit du vrai, mais bon). Puis, je visite les différentes salles liées à l'humanité où détonnent toutes les cultures du monde. Des parures pour les têtes, toujours: plumes, métaux, pierres précieuses, peau d'animal, terre cuite. Les sociétés s'attardent à leur chapeau. Des danses-rituels que je tente de m'imaginer, des sacrifices humains, des territoires. Cela ressemble à nos religions: les crimes contre l'humanité et la Palestine contre l'Israël, l'Israël contre la Palestine, du pareil au même. Cependant, il y a aussi la petite vie: une déclaration sur un chaudron, des poupées faites à la main avec peu, des artéfacts de la vie normale, du rythme des saisons. Une baleine immense est suspendue au plafond. Je sais qu'elle est en plastique, mais ses dimensions réelles me troublent et m'émerveillent.

Déambulation

 

Quand je tente de composer et que je suis bloquée, mes pensées virevoltent dans le vent de ma conscience. Puis, je réveille ma frustration avec une brique et un fanal parce que c'est l'heure de créer et non de marcher dans la jungle de mon esprit libre. J'encage cet oiseau qu'est l'esprit et je lui crie de chanter. Il faut dire que cela m'arrive peu. D'habitude, je ne m'oblige pas à créer et je le fais dans les moments propices, ces petits laps de temps où on est seuls, que la météo nous inspire et que tout, même notre vaisselle sale échue sur la table du salon, fait jaillir des mots. Cependant, il arrive que ma création soit déréglée et très en retard sur l'horloge de la vraie vie. Ce que j'ai compris lorsqu'un de mes professeurs m'a parlé de la déambulation, c'est que c'est en quelque sorte ce qui se passe dans mon esprit lorsque je suis prise au piège dans le syndrome de l'écran blanc, maladie un peu placébo enfantée par le syndrome de la page blanche et de la technologie. Le problème avec la déambulation dans l'esprit, c'est qu'à un certain point, on est rendus à faire un tour de chameau dans le désert de la soupe qu'on a mangée hier et on chante la chanson ultra pop qui jouait à l'épicerie tantôt, c'est-à-dire qu'on s'aventure dans les contrées nuisibles à la création. Déambuler, c'est errer dans le simple but de s'abreuver artistiquement de ce qui nous entoure et c'est fort utile quand je me sens prisonnière de ma rengaine mentale. Quand je marche, je suis ouverte aux images qui défilent devant mes yeux et ce monde extérieur forme un tamis mental qui ne retient que des pensées utiles. La déambulation me donne non seulement une raison d'arrêter de m'acharner sur mon estime, mais elle me propose aussi une foule d'avenues créatives que je n'aurais jamais empruntées. Elle donne naissance à des images farfelues qui ne règlent pas tout, mais qui sont là, prêtes à danser dans mes textes.

To plan or not to plan

 

Lamartine, homme bien mélancolique et nostalgique a déjà dit que « la poésie c'est l'incarnation de ce que l'homme a de plus intime dans le coeur ». À quelque part, je crois que toute poésie puise sa source dans les profondeurs de soi. Il y a aussi une question de «moment», de temps précis où émergent des mots. C'est pourquoi je trouve très ardu de devoir planifier les textes de mon recueil à l'avance. Le planning, ça relève d'un tout autre univers que celui de la poésie. Quand on l'évoque, c'est pour sauver du temps, faire plus de profit, gagner tout court. En poésie, on est seuls et le temps ne compte pas et puis pour l'argent, on repassera! Bref, je trouve que l'opposition entre ces deux mondes ne peut pas être plus évidente. Pour ce projet, par contre, je dois planifier un certain nombre de facteurs et je dois penser aux structures des textes à l'avance. Alors, je planifie un peu dans le flou et j'espère bien qu'au moment arrivé, à l'endroit choisi et selon la structure planifiée, l'inspiration viendra quand même.

City, en plus petit

 

Première destination: Alphabet city, quatre rues portant des lettres pour nom. Je déguste le silence gouvernant un wagon de métro allant à contresens du trafic, de la vie. Une dame porte du eye-liner sous les yeux, cela coïncide avec l'inversion de notre mouvement. Une publicité plaquée derrière une vitre de plastique barbouillée indique « A pharmacy, but not like a pharmacy », absurde. Une société tellement déboussolée qu'on désire être l'opposé de ce qu'on est: « A human, but not like a human. » C'est drôle, même l'inversion fonctionne. Le métro glisse ses ongles le long des rails. J'émerge du gouffre du métro et le ciel n'a pas changé, en fait oui, beaucoup moins de bâtiments obstruent l'accès à ce plafond nuageux.

Un français à New York

 

Le soir, j'ai une rencontre avec un jeune New-yorkais de 26 ans. Il a étudié en art et a grandi dans cette ville depuis ses cinq ans. J'ai hâte de lui parler parce que je vais avoir la vision actuelle d'un jeune adulte de son pays, sa ville et toutes les folies qui s'y déroulent. Quand j'entre dans le métro, je réalise que le Bronx un quartier où la culture est rayonnante et bien différente de la mienne. Il semble y avoir une chimie entre les personnes de peau noire à laquelle je ne peux accéder.

 

Adrien est avec son amie Soul, une Coréenne. Les deux ont étudié en art à New York. À travers nos discussions, ils me racontent comment est la vie à New York:

« Quand on en sort, on trouve tout petit »

«New York est la pire ville pour être une artiste. Tout le monde veut percer, mais on est trop occupés à travailler dans les restaurants des touristes. »

« On sort toujours, jamais à la même place »

Ils me montrent leur coin du Bronx et nous passons devant des bureaux d'artistes tous blancs (les bureaux blancs, les artistes aussi).

Adrien dit:

«C'est comme ça, d'abord les putes s'en vont et puis les artistes arrivent.»

Je trouve que c'est une belle définition de l'embourgeoisement. Ils me parlent aussi de leur président, à quel point ils aiment (ironie). Ils aiment me poser des questions sur Montréal, sur le Québec. Le chose la plus violente dans le Bronx, c'était la neige. Quand je quitte, mon manteau est trempé.

Premier rang

 

Je croyais que seulement les banlieues des grandes villes sud-américaines étaient tristes. Il faut croire que les États-Unis aussi sont bien bruns. Les seules couleurs qui gravitent comme des vieux drapeaux se trouvent sur les bannières Taco Bell et PFK. Partout, les cimetières d'autos sur asphalte sont désertés de gens, dépourvus de vie. Les banlieues américaines sentent le café froid, toutes des vieux Starbucks frettes abandonnés. Partout, on peut lire « America, protecting Americans, All American ».

 

De loin, la ville ressemble à une étagère de dépanneur: bâtiments en carton de lait, des formes de canettes de Coke. Un EZ pass, deux EZ pass, le tunnel et nous arrivons? Dans le tunnel, il est 13h44, il pourrait être 1h44 du matin, c’est l’effet New York. Le ciel est gris, mais les lumières sont peintes en jaune.

Sentiers

 

En après-midi, je me rends à Central Park. Il y a quelque chose de mystérieux et de contrasté dans ce parc l'hiver. Il est majestueux et tout blanc avec la neige, mais les clôtures délimitant les pelouses fermées pour la conservation et la terre se mélangeant au tapis blanc donnent un air endormi et sinistre au lieu. Plusieurs choses m'inspirent. Je photographie un enfant soufflant des bulles, des arbres tordus, des jolies dames en promenade de santé, plusieurs chiens, etc. Ce lieu m'absorbe visuellement. À quelques moments, j'ai l'impression que je suis transportée dans un été aux éclats de lumière dignes des toiles impressionnistes. Le lieu force son visiteur à imaginer et à se perdre autant physiquement, dans une certaine déambulation, que dans le fil de sa pensée.

Mixité

 

Durant ma déambulation, je photographie toutes sortes de scènes qui m'inspirent la beauté ou la laideur. Comme je le savais déjà, mais que je constate à chaque seconde, c'est que la laideur et la beauté sont intimement liées comme deux vieilles amies qui changent de place sans qu'on s'en rende compte. Des pigeons, c'est laid dans notre imaginaire, mais quand ça s'envole, l'effet est sublime à l'appareil, surtout en noir et blanc. Puis, des sacs à ordures, quoi de plus laid banal, mais quelqu'un les a disposés en pyramide, intéressant. C'est un endroit hétéroclite. Cela m'inspire pour la différence mince entre la beauté et la laideur. J'ai photographié un arbre et un jeune garçon de mon âge s'est retourné pour voir ce que je photographiais. Il a souri. Plus tard, un chauffeur de camion et moi nous sommes souri. Même si les gens sont très différents de moi, nous nous comprenons. C'est beau.

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